61 Cyg A : Première observation d’un cycle magnétique de type solaire

Les astronomes se demandent depuis longtemps si les caractéristiques du Soleil en font un objet particulier, ou bien juste une étoile typique parmi tant d’autres. Après neuf années d’observations intensives, une équipe de scientifiques, dont des chercheurs de l’Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie (CNRS/Université Paul Sabatier), vient de découvrir la toute première étoile dont le champ magnétique varie comme celui du Soleil : avec une inversion de la polarité lorsque l’activité de l’étoile est à son maximum, et avec une géométrie magnétique qui se simplifie à l’approche du minimum. Cette découverte importante pour la physique stellaire permettra également d’améliorer la modélisation des processus à l’œuvre dans le Soleil, et de mieux comprendre les effets de son activité magnétique sur la Terre comme sur nos différentes technologies. L’étoile étudiée, 61 Cyg A, se situe à quelque onze années-lumière de la Terre, ce qui en fait l’une des plus proches voisines du Soleil. Ces résultats montrent que son champ magnétique devient nettement plus complexe avant chaque inversion, ouvrant ainsi la voie à de nouveaux progrès dans la modélisation des processus à l’œuvre dans le Soleil. Ce résultat est publié en ligne le 6 octobre 2016 dans Astronomy & Astrophysics.

Depuis de nombreuses années, nous savons que la grande majorité, voire toutes les étoiles, sont actives – à des degrés divers, et que cette activité (détectable à travers les variations de luminosité des étoiles par exemple) résulte de leur champ magnétique. Le Soleil, l’étoile la plus proche de la Terre, ne fait pas exception : ses variations, tout au long du cycle magnétique de 22 ans, s’accompagnent de l’inversion de la polarité de son champ magnétique chaque onze ans. Les fluctuations solaires sont relativement faibles et plutôt lentes comparées à celles des étoiles magnétiquement actives connues, qui pour la plupart varient considérablement en terme de luminosité, sont le siège d’intenses et violentes éruptions stellaires, et dont la variabilité sur des durées de quelques mois à quelques années est beaucoup plus complexe que le cycle solaire. Pour cette raison, les astronomes se sont longtemps demandés si notre Soleil était particulier, ou si d’autres étoiles arboraient la même variabilité.

L’activité du Soleil est intrinsèquement liée à son champ magnétique, directement responsable de l’apparition de taches en surface ainsi que d’éruptions. Ce même champ alimente en outre le vent solaire, véritable flux de matière diffusé en continu dans l’espace. Sur une période de quelque vingt-deux ans, l’ensemble de ces caractéristiques varie, augmentant et diminuant régulièrement. Deux « périodes actives » sont ainsi entrecoupées de « minima solaires », plus calmes. Durant plus de quarante ans, les astronomes ont observé les étoiles proches, à la recherche d’un astre se comportant similairement à notre Soleil. Ces observations ont révélé l’existence d’étoiles dotées d’une semblable variabilité – décennale. La question de la concordance de cette variabilité et de l’inversion de champ magnétique est toutefois demeurée sans réponse.

L’avènement, voici une dizaine d’années, d’instruments dédiés baptisés « spectropolarimètres stellaires », a permis de cartographier les champs magnétiques d’étoiles proches de type Soleil. Grâce à cette nouvelle technologie, qui équipe le Télescope Bernard Lyot1 installé au Pic du Midi, les astronomes de l’équipe Bcool2 ont effectué le suivi observationnel d’un certain nombre d’étoiles proches, parmi lesquelles 61 Cyg A. De dimensions plus petites et de luminosité plus faible que celles du Soleil, cette étoile située dans la constellation septentrionale du Cygne est à peine visible à l’oeil nu.

Ces observations on révélé la grande similitude de 61 Cyg A et du Soleil. A la différence de ce dernier, 61 Cygni constitue un système binaire dont les deux composantes, 61 Cyg A et 61 Cyg B, sont de taille et de luminosité légèrement inférieures à celles du Soleil. En dépit de ces différences, 61 Cyg A arbore des variations d’activité qui coïncident avec les changements de polarité de son champ magnétique – ces changements surviennent tous les 7 ans, et la durée complète du cycle magnétique s’établit à 14 ans. En outre, le champ magnétique de 61 Cyg A se révèle d’autant plus complexe à l’approche de ces « inversions » (Figure 1). Ce comportement est parfaitement analogue à celui du Soleil. C’est la toute première fois qu’une telle similitude est observée.

Figure 1 : Le réseau de lignes magnétiques de l’étoile 61 Cyg A. A gauche, une observation en juillet 2010 révèle un champ magnétique à la géométrie complexe, alors que l’étoile est proche de son maximum d’activité. A droite, une observation réalisée cinq années plus tard montre l’étoile à son minimum d’actrivité. Cette observation d’août 2015 montre une structure magnétique plus simple, de nature dipolaire, assez semblable dans sa géométrie au champ magnétique d’un simple barreau aimanté, ou à celui d’une planète comme la Terre. Cette évolution montre une similitude frappante avec le cycle solaire. Des animations sont disponibles ici pour 2010, et ici pour 2015.

« Les preuves observationnelles de l’existence d’une activité magnétique semblable à celle du Soleil au sein d’étoiles telle 61 Cyg A nous permettront de simuler, via des modèles informatiques, la création de champs magnétiques stellaires de type solaire, de mieux comprendre les processus dynamos à l’œuvre au sein des étoiles analogues au Soleil, et donc au sein du Soleil lui-même », précise Pascal Petit, chercheur à l’IRAP, l’un des co-auteurs de cette étude. Comprendre la façon dont les étoiles de type solaire génèrent leurs champs magnétiques et les effets de ces champs magnétiques sur l’évolution des planètes et le développement de la vie constitue l’un des thèmes clés de l’astrophysique moderne. L’étude des autres étoiles nous permettra par ailleurs de mieux comprendre les processus générateurs du champ magnétique solaire ainsi que son impact sur la technologie terrestre et embarquée. Le vent solaire et surtout les éjections de matière coronale produites par les éruptions solaires peuvent en effet avoir des répercutions importante sur Terre. Lorsque ces flots de plasma atteignent la Terre, ils produisent non seulement les aurores boréales et australes qui illuminent les nuits hivernales des régions polaires (Figure 2), mais ils peuvent également perturber les communications radio et les réseaux électriques au sol, ainsi qu’endommager les satellites voir menacer la santé des astronautes en orbite terrestre.

Figure 2 : Aurore boréale au dessus de la lagune glaciaire de Jökulsárlón en Islande. Image en haute définition sur ce lien. Crédit: Julien Morin.

Notes

  • Le TBL (Télescope Bernard Lyot) est opéré par l’IRAP / OMP, le CNRS / INSU et l’UFTMiP / UPS
  1. Plus d’information sur le projet BCool sur cette page web

Référence

  • Astronomy & Astrophysics, Boro Saikia et al. 2016, A&A, 594, A29

Contact IRAP

  • Pascal Petit – Tel : 05 61 33 28 28 – pascal.petit@irap.omp.eu

Auteur : IRAP

Date : 06/10/2016

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