Webb détecte pour la première fois une molécule de carbone essentielle dans un disque de formation de planètes

Une équipe internationale d’astronomes a utilisé les données recueillies par le télescope spatial James Webb du consortium NASA/ESA/CSA pour détecter pour la première fois une molécule [1] – le cation méthyle (CH3+) – dans le disque protoplanétaire entourant une jeune étoile. Ils ont accompli cette prouesse grâce à une analyse d’experts pluridisciplinaires, comprenant des contributions essentielles de scientifiques spécialisés dans la spectroscopie de laboratoire. Cette molécule simple possède une propriété unique : elle réagit de manière relativement inefficace avec l’élément le plus abondant de notre univers (l’hydrogène), mais réagit facilement avec d’autres molécules et initie ainsi la croissance de molécules plus complexes à base de carbone. La chimie du carbone présente un intérêt particulier pour les astronomes, car toutes les formes de vie connues sont basées sur le carbone. Le rôle vital de CH3+ dans la chimie du carbone interstellaire a été prédit dans les années 1970, mais les capacités uniques de Webb ont finalement permis de le détecter – dans une région de l’espace où des planètes capables d’accueillir la vie pourraient éventuellement se former.

Webb studies the Orion Nebula

Les composés de carbone [2] sont à la base de toute vie connue et, à ce titre, présentent un intérêt particulier pour les scientifiques qui cherchent à comprendre comment la vie s’est développée sur Terre et comment elle pourrait se développer ailleurs dans l’Univers. À ce titre, la chimie organique interstellaire [3] est un domaine qui fascine les astronomes qui étudient les lieux où se forment les nouvelles étoiles et les nouvelles planètes. Les ions moléculaires [4] contenant du carbone sont particulièrement importants, car ils réagissent avec d’autres petites molécules pour former des composés organiques plus complexes, même à des températures interstellaires basses [5]. Le cation méthyle (CH3+) est l’un de ces ions à base de carbone. Depuis les années 1970 et 1980, les scientifiques considèrent que le CH3+ est particulièrement important. Cela est dû à une propriété fascinante du CH3+, à savoir qu’il réagit avec un large éventail d’autres molécules. Ce petit cation est suffisamment important pour être considéré comme la pierre angulaire de la chimie organique interstellaire, mais il n’a jamais été détecté jusqu’à présent. Les propriétés uniques du télescope spatial James Webb en ont fait l’instrument idéal pour rechercher ce cation crucial – et déjà, un groupe de scientifiques internationaux l’a observé avec Webb pour la première fois. Marie-Aline Martin de l’Université Paris-Saclay (France), spectroscopiste et membre de l’équipe scientifique, explique : « Cette détection de CH3+ valide non seulement l’incroyable sensibilité de James Webb, mais confirme également l’importance centrale supposée de CH3+ dans la chimie interstellaire. »

Le signal CH3+ a été détecté dans le disque protoplanétaire [6] du système d203-506 situé à environ 1350 années-lumière, dans la nébuleuse d’Orion. Bien que l’étoile de d203-506 soit une petite naine rouge, dont la masse ne représente qu’un dixième de celle du Soleil, le système est bombardé par un fort rayonnement ultraviolet provenant d’étoiles chaudes, jeunes et massives situées à proximité. Les scientifiques pensent que la plupart des disques protoplanétaires en formation passent par une période de rayonnement ultraviolet aussi intense, car les étoiles ont tendance à se former en groupes comprenant souvent des étoiles massives produisant des ultraviolets. Fait fascinant, des météorites suggèrent que le disque protoplanétaire qui a ensuite formé notre système solaire a également été soumis à une grande quantité de rayonnements ultraviolets, émis par un compagnon stellaire de notre Soleil qui est mort depuis longtemps (les étoiles massives brûlent intensément et meurent beaucoup plus vite que les étoiles moins massives). Le facteur déconcertant dans tout cela est que le rayonnement ultraviolet a longtemps été considéré comme purement destructeur pour la formation de molécules organiques complexes. Pourtant, il existe des preuves évidentes que la seule planète propice à la vie que nous connaissons est née d’un disque fortement exposé à ce rayonnement.

L’équipe qui a mené cette recherche a peut-être trouvé la solution à cette énigme. Leur travail prédit que la présence de CH3+ est en fait liée au rayonnement ultraviolet, qui fournit la source d’énergie nécessaire à la formation de CH3+. De plus, la période de rayonnement ultraviolet subie par certains disques semble avoir un impact profond sur leur chimie. Par exemple, les observations Webb de disques protoplanétaires qui ne sont pas soumis à un rayonnement ultraviolet intense provenant d’une source proche montrent une forte abondance en eau – contrairement à d203-506, où l’équipe n’a pas pu détecter d’eau. L’auteur principal, Olivier Berné, de l’université de Toulouse (France), explique : « Cela montre clairement que le rayonnement ultraviolet peut modifier complètement la chimie d’un disque proto-planétaire. Il pourrait en fait jouer un rôle essentiel dans les premières étapes chimiques des origines de la vie en aidant à produire du CH3+ – ce qui a peut-être été sous-estimé jusqu’à présent.

Bien que des recherches publiées dès les années 1970 aient prédit l’importance du CH3+, il était jusqu’à présent pratiquement impossible de le détecter. De nombreuses molécules présentes dans les disques protoplanétaires sont observées à l’aide de radiotélescopes. Toutefois, pour que cela soit possible, les molécules en question doivent posséder ce que l’on appelle un « moment dipolaire permanent », ce qui signifie que la géométrie de la molécule est telle que sa charge électrique est en permanence en déséquilibre, ce qui donne à la molécule une « extrémité » positive et une « extrémité » négative. CH3+ est symétrique, sa charge est donc équilibrée et il ne possède pas le moment dipolaire permanent nécessaire aux observations avec les radiotélescopes. Il serait théoriquement possible d’observer les raies spectroscopiques émises par CH3+ dans l’infrarouge, mais l’atmosphère terrestre rend ces raies pratiquement impossibles à observer depuis la Terre. Il était donc nécessaire d’utiliser un télescope spatial suffisamment sensible pour observer les signaux dans l’infrarouge. Les instruments MIRI et NIRSpec de Webb étaient parfaits pour cette tâche. En fait, la détection de CH3+ avait été si difficile à obtenir auparavant que lorsque l’équipe a vu le signal pour la première fois dans ses données, elle n’était pas sûre de savoir comment l’identifier. Fait remarquable, l’équipe a été en mesure d’interpréter ses résultats en l’espace de quatre semaines, en faisant appel à l’expertise d’une équipe internationale dotée d’un large éventail de compétences.

La découverte de CH3+ n’a été possible que grâce à une collaboration entre astronomes observateurs, modélisateurs astrochimiques, théoriciens et spectroscopistes expérimentaux, qui a combiné les capacités uniques du JWST dans l’espace avec celles des laboratoires terrestres afin d’étudier et d’interpréter avec succès la composition et l’évolution de notre univers local. Marie-Aline Martin ajoute : « Notre découverte n’a été possible que parce que les astronomes, les modélisateurs et les spectroscopistes de laboratoire ont uni leurs forces pour comprendre les caractéristiques uniques observées par James Webb.

Les résultats de l’équipe ERS PDRs4ALL ont été publiés ce jour dans la revue Nature.

Notes

[1] Une molécule est une particule composée de deux atomes ou plus qui sont maintenus ensemble par des liaisons chimiques.

[2] Un composé est une molécule qui comprend plus d’un élément. Ainsi, tous les composés sont des molécules, mais toutes les molécules ne sont pas des composés. Par exemple, la molécule d’hydrogène (H2) est une molécule mais pas un composé, alors que la molécule d’eau (H2O) est également un composé.

[3] La chimie organique fait référence à la chimie des molécules et des composés à base de carbone. Elle peut également être appelée chimie du carbone.

[4] Un ion est un atome ou une molécule qui a une charge électrique globale, en raison d’un excès ou d’un déficit du nombre d’électrons négatifs par rapport au nombre de protons positifs dans l’ion. Un cation est un ion avec une charge positive nette (donc un déficit d’électrons).

[5] Une molécule organique complexe est une molécule comportant plusieurs atomes de carbone.

[6] Un disque protoplanétaire est un disque de gaz et de poussières en rotation qui se forme autour de jeunes étoiles et à partir duquel des planètes peuvent finalement se former.

Ressources complémentaires

Contact IRAP

  • Olivier Berné, olivier.berne@irap.omp.eu

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