Mission Euclid : Percer les mystères de l’Univers

Le satellite Euclid, qui sera lancé en juillet 2023, va tenter de percer les secrets de l’Univers en explorant la composition et l’évolution de l’Univers sombre. Pendant 6 ans, la mission Euclid de l’Agence spatiale européenne (ESA) à l’aide de son télescope spatial produira une carte de l’Univers à grande échelle à travers l’espace et le temps en observant des milliards de galaxies jusqu’à 10 milliards d’années-lumière, sur plus d’un tiers du ciel. Euclid éclaircira le phénomène de l’expansion de l’Univers et son accélération en essayant de décrypter le rôle de la gravité et la nature, encore inconnue à ce jour, des matières et énergies noires qui représentent plus de 95% de la masse et de l’énergie de notre Univers.

Euclid résulte d’une collaboration internationale, impliquant des scientifiques du CNRS-INSU. Le Consortium Euclid – composé de plus 1500 scientifiques répartis dans 300 laboratoires et instituts de 17 pays différents (1)  – a fourni les instruments scientifiques et participera à la production et à l’analyse des données scientifiques.

Avant le départ du satellite pour les États-Unis en avril, on revient sur les enjeux de cette mission avec Yannick Mellier, astronome de Sorbonne Université à l’IAP et PI de la mission ; Sophie Maurogordato, directrice de recherche CNRS au laboratoire Lagrange ; Nabila Aghanim, directrice de recherche CNRS à l’IAS et Vincent Le Brun, enseignant-chercheur de l’université Aix-Marseille au LAM.

Les mystères de la matière noire et de l’énergie noire

La matière ordinaire est constituée des particules élémentaires décrites dans le modèle standard de la physique des particules. Cela inclut les quarks et les électrons, qui forment ensemble des atomes. La matière ordinaire attire d’autres matières ordinaires, en fonction de sa masse, via la gravité. Cette force explique pourquoi la Terre tourne autour du Soleil et pourquoi le Soleil tourne autour du centre de la galaxie de la Voie lactée. Mais la matière ordinaire n’est qu’une petite fraction de ce que l’Univers contient. En effet, les étoiles dans les galaxies se déplacent plus rapidement autour de leur centre que ce que la matière ordinaire pourrait expliquer. Cette dernière ne serait pas capable de créer suffisamment de gravité pour maintenir ces galaxies ensemble. La source de cette gravité manquante est ce que l’on appelle la matière noire et sa présence tend à contenir l’expansion de l’Univers.

L’objectif primaire de la mission est de déterminer pourquoi l’expansion de l’Univers s’accélère. La source à l’origine de cette accélération, « l’énergie sombre » est de nature totalement inconnue à ce jour. Il s’agit peut-être d’une nouvelle interaction fondamentale de la nature, de la constante cosmologique ou du fait qu’aux échelles cosmologiques les effets de la gravitation s’écartent sensiblement des prédictions de la théorie de la relativité générale d’Einstein. La mission spatiale Euclid va apporter une réponse décisive à cette question en cartographiant la distribution de la matière noire et celle des galaxies ainsi que leur évolution respective au cours des 10 derniers milliards d’années. Euclid va établir cette « tomographie cosmique » en observant 15000 deg-carrés de la voute céleste (un tiers de la totalité du ciel), avec un télescope de 1,2 mètre de diamètre, grand champ.

Emplacement des champs sur le ciel qui seront couverts par les relevés large (bleu) et profond (jaune) d’Euclid. Le ciel est représenté dans le système de coordonnées galactiques, la bande horizontale brillante correspondant au plan de notre galaxie. © ESA/Gaia/DPAC; Euclid Consortium. Acknowledgment: Euclid Consortium Survey Group.

Mission Euclid : Une révolution pour l’astronomie

Euclid effectuera une cartographie de haute précision de la matière noire grâce au cisaillement gravitationnel (2) occasionné par celle-ci. La matière ordinaire et la matière noire ne sont pas réparties uniformément dans l’espace, mais disposées en structures filamentaires souvent appelées « toile cosmique ». Le changement dans le temps de la matière noire et le regroupement de sa distribution spatiale globale révèlent le rôle et les propriétés de l’énergie noire. Alliant puissance statistique et une importante étendue couverte en redshift (3), le catalogue d’amas de galaxies d’Euclid sera révolutionnaire, en particulier en ce qui concerne la caractérisation des amas à haut redshift. 

Euclid est un instrument extraordinaire pour une multitude de projets au-delà de la cosmologie et de l’Univers sombre. Au cours de sa mission, Euclid va observer tous les 3 à 5 jours l’équivalent de la totalité du ciel couvert par le télescope Hubble en 30 ans. De ce point de vue, c’est une ère nouvelle qui commence pour l’astronomie. L’analyse statistique de centaines de millions de galaxies portant sur 10 milliards d’années ou, à l’autre extrême, la détection d’objets rares, comme les étoiles ultra-froides, les petits objets du système solaire, les galaxies à très faible brillance de surface ou les populations de quasars (4) à très grand décalage spectral va se nourrir des données d’Euclid, et ceci pendant plusieurs décennies. 

Les instruments impliqués dans une cartographie inédite

Le télescope spatial, construit par Airbus Defense and Space, alimentera en photons deux instruments, un imageur visible (VIS) et un spectromètre-photomètre infrarouge (NISP), qui observeront les mêmes champs en parallèle pendant 6 années. Il sera positionné au point de Lagrange L2 situé à 1,5 millions de kilomètres de la Terre. Le satellite Euclid qui accueille le télescope et ses instruments est construit par Thales Alenia Space Italie. Il sera lancé en juillet 2023 avec une fusée SpaceX Falcon 9 depuis Cap Canaveral, en Floride. La mission va recueillir une quantité considérable de données (plusieurs Petabytes en 6 ans, portant plus de 10 milliards de sources et 35 millions de spectres de galaxies). L’ampleur du traitement de ces pixels fait d’Euclid une mission hors normes, la plus lourde et complexe jamais mise en place par l’ESA et le consortium en termes de gestion et traitement de données.

Impression d’artiste de la mission Euclid dans l’espace. © ESA/Euclid/Euclid Consortium/NASA. Background galaxies: NASA, ESA, and S. Beckwith (STScI) and the HUDF Team

Avec son instrument VIS, Euclid va mesurer les infimes déformations gravitationnelles des images des galaxies lointaines engendrées par toute la matière noire distribuée le long de la ligne de visée. L’analyse statistique de ces déformations infimes en fonction de l’échelle angulaire sur le ciel et de la distance à l’observateur (donc du temps (5)) permet de reconstruire la distribution de la matière noire et son évolution avec une extrême précision permettant de « voir » les effets perturbateurs de l’énergie sombre sur la croissance des grandes structures de l’Univers en fonction du temps. L’instrument VIS est sensible aux longueurs d’onde allant du vert (550 nm) au proche infrarouge (900 nm). Il utilise une mosaïque de 36 CCD (6) qui donne au détecteur un total d’environ 600 mégapixels, équivalant à près de soixante-dix écrans de résolution 4K.

NISP est un combiné caméra/spectrographe qui mesure la lumière proche infrarouge (900-2000 nm) à l’aide d’une grille de 16 détecteurs (7) . Les objectifs scientifiques d’Euclid imposent en effet d’observer des galaxies très lointaines pour déterminer la quantité de lumière qu’elles émettent par longueur d’onde. NISP permettra de mesurer le décalage vers le rouge des galaxies (redshift), que les cosmologistes peuvent utiliser pour estimer la distance entre chaque galaxie. La particularité de NISP est qu’il va pouvoir observer les spectres de toutes les galaxies présentes dans son champ de vue, au contraire des spectrographes classiques qui demandent une sélection au préalable des cibles. 

Grâce au couplage de VIS et NISP, et à partir de la position des galaxies et de leur distance, il sera possible d’établir la plus grande et précise carte 3D de l’Univers jamais réalisée. Grâce à cette dernière, les scientifiques pourront étudier comment la répartition de ces structures filamentaires change au fil du temps pour en savoir plus sur la matière noire (qui affecte la gravité) et l’énergie noire (qui affecte l’expansion de l’Univers).

Cette image montre l’intérieur du télescope Euclid, son banc optique. Sous cet angle, la lumière (flèche blanche) entre dans le télescope par le bas et est redirigée par plusieurs miroirs vers un composant spécial appelé dichroïque. Ce composant sépare la lumière visible (flèche orange) de la lumière infrarouge proche (flèche rouge). La lumière visible est réfléchie et dirigée vers l’instrument VISible (VIS, près du sommet), et la lumière proche infrarouge passe à travers lui vers le spectromètre et photomètre proche infrarouge (NISP, à droite). © Airbus Defense and Space/ESA

Une analyse scientifique de grande envergure

Le cœur de l’analyse scientifique simultanée des données VIS et NISP portera sur la détection, la caractérisation et l’évolution des grandes structures de l’Univers au cours des 10 derniers milliards d’années. Elle permettra d’explorer avec une extrême précision toutes les échelles cosmiques depuis celle des galaxies jusqu’à celle des plus grands filaments de matière noire et de matière visible. Ces instruments permettront également une cartographie inédite de la distribution des amas de galaxies. Etant les structures liées par la gravitation les plus massives de l’Univers, ces amas sont des indicateurs cosmologiques pour caractériser matière et énergie noire dont dépend leur abondance en fonction de leur masse et de leur redshift. Un modèle d’Univers avec une densité de matière élevée produira par exemple plus d’amas que si la densité est faible. De même, l’énergie noire affecte à la fois l’élément de volume comobile (8)  et le taux de croissance des structures, et donc le nombre d’amas formés au cours du temps. On attend donc une modulation du nombre d’amas en fonction du redshift caractéristique du modèle d’énergie noire envisagé.

Euclid se livrera à un travail incessant : le télescope observera 20h/24h et les 4 h restantes serviront à transférer les données vers la Terre. À la réception sur Terre, les données seront vérifiées puis traitées par la chaine de traitement du consortium pour établir progressivement une cartographie de la distribution de la matière noire et des galaxies par tranche de 1 milliard d’années environ. Ces données seront exploitées immédiatement par les scientifiques du consortium puis rendues publiques 6 mois plus tard, environ. Le traitement et l’analyse scientifique de données d’Euclid est un travail titanesque qui implique plusieurs centaines de chercheurs et ingénieurs.

Notes

  1. Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Roumanie, Royaume Uni, Suisse, États-Unis, Canada, Japon.
  2. La matière peut déformer localement l’espace-temps, modifier la trajectoire de la lumière et ainsi déformer l’image des galaxies et des amas situés en arrière-plan.
  3. Décalage vers le rouge des galaxies, signe qu’elles s’éloignent de l’instrument qui les observe, selon l’effet Doppler.
  4. Un quasar est un trou noir super massif au centre d’une région extrêmement lumineuse comme le noyau actif d’une galaxie.
  5. La vitesse de la lumière étant finie, lorsque que l’on observe un objet lointain on le voit tel qu’il était au moment de l’émission de la lumière. Pour les galaxies, on ne parle pas de minutes mais de millions et de milliards d’années-lumière. Ainsi les scientifiques remontent le temps et vont dans le passé.
  6. Charge Coupled Devices, un type de capteur de caméra.
  7. La NASA a fourni les détecteurs dans le proche infrarouge de l’instrument NISP.
  8. Volume calculé en suivant l’expansion de l’univers.

Les laboratoires CNRS-INSU impliqués

Le consortium, dont font partie des scientifiques du CNRS-INSU, est responsable de la construction des instruments scientifiques, de la réalisation de la chaine de traitement des données, de la production des images calibrées et des catalogues qui seront livrés à la communauté scientifique mondiale ainsi que de l’exploitation scientifique. Des laboratoires de l’IN2P3 sont aussi impliqués dans la mission.

  • L’Institut d’Astrophysique de Paris (IAP) est responsable scientifique de la mission, de la gestion du Consortium Euclid, de la production des données obtenues avec l’imageur VISible et participe à l’équipe système du segment sol et gestion des données. Tutelles : Sorbonne Université / CNRS
  • L’Institut d’Astrophysique Spatiale (IAS) / OSUPS est responsable de la conception, réalisation et livraison du système d’étalonnage de VIS (Calibration Unit). Il assure la responsabilité (avec l’INAF Trieste et LMU Munich) l’Organisational Unit MER du Segment Sol, en charge de la fusion des données VIS et NISP et de la production du catalogue de galaxies. Tutelles : Université Paris‐Saclay / CNRS
  • Le Laboratoire d’Astrophysique de Marseille (LAM) / PYTHEAS est responsable de l’instrument NISP et en assure la maîtrise d’œuvre. Il a fourni la structure mécanique en carbure de silicium ainsi que les grisms. Les essais en environnement spatial, de qualification et de vérification des performances de l’instrument ont été réalisés dans la grande cuve cryogénique du LAM développée avec le soutien du CNES. Tutelles : Aix‐Marseille Université / CNRS / Cnes
  • Le Laboratoire Lagrange / OCA assure depuis 2012 la responsabilité du Workpackage Clusters of galaxies Implementation de l’Organisation Unit LE3 du Segment Sol Scientifique conjointement avec l’INAF, Trieste. Ce groupe de travail coordonne l’implémentation des algorithmes visant à détecter, caractériser et analyser les propriétés de regroupement des amas de galaxies. Il coordonne le pipeline dédié aux amas du Segment Sol et est responsable de la livraison du catalogue d’amas de galaxies d’Euclid ainsi que le groupe de travail scientifique dédié au système solaire, et est responsable des simulations stellaires True Universe. Tutelles : Université Côte d’Azur / CNRS
  • Astrophysique Instrumentation et Modélisation (AIM) est co-responsable de la conception, de la construction et de l’intégration du plan focal de l’instrument ainsi que du boitier électronique de contrôle des éléments froids. Tutelles : Université Paris Diderot / CNRS / CEA
  • Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie (IRAP) / OMP. Tutelles : Université Toulouse 3 ‐ Paul Sabatier / CNRS / CNES

Ressources complémentaires

Contact IRAP

  • Alain Blanchard, alain.blanchard@irap.omp.eu

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