L’énergie noire vient-elle du vide quantique ?

DEUS Simulation - Credit CNRS

Des chercheurs français, notamment de l’IRAP à Toulouse, proposent une origine physique à l’énergie noire. Il s’agirait de l’action gravitationnelle du vide quantique présent dans une dimension supplémentaire de l’espace. Considérée depuis très longtemps en physique, l’amplitude de l’action gravitationnelle du vide quantique était néanmoins estimée à des valeurs allant bien au delà de celles autorisées par les observations à l’échelle cosmologique: quelques 10120 fois la densité actuelle de l’univers. Cette situation a conduit les cosmologistes à chercher d’autres mécanismes pour expliquer l’accélération de l’expansion de l’univers, comme la quintessence ou des modifications de la relativité générale.
Les travaux récents des chercheurs français ont montré qu’en présence d’une dimension supplémentaire compacte (c’est-à-dire rebouclée sur elle-même), le vide quantique gravitationnel pouvait produire une contribution à la densité de l’univers par un mécanisme similaire à l’effet Casimir en électrodynamique quantique. Une telle contribution se comporte exactement comme une constante cosmologique et peut prendre une valeur conforme aux observations si la taille de la dimension supplémentaire est de quelques dizaines de micromètres. D’une façon assez fascinante des expériences de laboratoire destinées à mesurer le comportement de la gravitation aux échelles sub-millimétriques pourraient tester une conséquence de cette proposition.

Les résultats récemment obtenus par le satellite Planck sont venus conforter notre connaissance de la composition de l’univers et les caractéristiques de son histoire. Ainsi la matière sous forme d’atomes ne représente qu’un peu moins de 5% de la densité totale, alors qu’une autre matière de nature inconnue, dite non-baryonique, représente un peu plus de 25%. L’univers est par ailleurs soumis à une force répulsive à grande échelle, attribuée à l’énergie noire qui représente les 70% de la densité de l’Univers, qui entraîne une accélération de son expansion !
Ce résultat, d’abord révélé dans les années 1998-1999 par le diagramme de Hubble des supernovae distantes, a depuis été largement conforté non seulement par de nouveaux échantillons plus approfondis de supernovae distantes, comme celui fourni par le SNLS au CFH, mais aussi par des informations complémentaires sur la distribution des galaxies aux grandes échelles ou grâce à la distribution de la matière noire analysée par effets de lentilles gravitationnelles. Maintenant solidement établie, la réalité du phénomène d’accélération a valu en 2011 le prix Nobel de physique à leurs découvreurs. L’origine de cette accélération est néanmoins un mystère devant lequel les chercheurs restent très perplexes. Le projet EUCLID retenu par l’agence européenne spatiale (ESA) en juin 2012 a d’ailleurs pour objectif premier de mieux caractériser la source de cette accélération cosmique. Deux explications possibles sont l’objet de nombreux travaux durant ces dernières années : la première envisage l’existence d’une nouvelle composante dans l’univers, qui pourrait être sous la forme d’un champ scalaire se comportant comme un fluide à pression négative ; la relativité générale peut alors conduire à une inversion du signe de la force gravitationnelle, devenant ainsi répulsive. Une deuxième voie, peut être plus radicale, consiste à supposer que la théorie de la relativité générale doit subir une modification, modification dont les conséquences ne se manifestent qu’aux échelles cosmologiques.
Dans ce paysage de la physique fondamentale une deuxième zone d’ombre existe : le rôle du vide quantique en gravitation. Depuis presque un siècle les physiciens ont noté que le vide en mécanique quantique est porteur d’une énergie a priori non nulle. Ce vide pourrait donc contribuer à la densité de l’univers. Mais les évaluations que l’on peut essayer de faire en se basant sur les échelles de la physique des particules mènent à des valeurs catastrophiquement trop grandes, ce qui a conduit à penser que cette contribution doit en réalité être nulle.
Dans ce nouveau travail les chercheurs français ont réexaminé cette question dans le cas où l’espace possèderait des dimensions supplémentaires. Cette idée émise dans les années 30 par Kaluza et Klein connaît un regain d’intérêt car elle est au cœur de la théorie des cordes1, qui conduit en particulier à la théorie des « branes »2: la physique des particules est confinée à l’espace temps usuel à quatre dimensions, mais la gravitation peut se propager dans des dimensions supplémentaires. En supposant que ce champ gravitationnel, confiné dans une dimension supplémentaire compacte est quantifié, il peut être à l’origine d’un effet Casimir bien connu dans le domaine électromagnétique3 et mesuré par des expériences de laboratoire. Cet effet Casimir se traduit par une force réelle, mesurable et s’interprète comme la manifestation d’une modification de la structure du vide quantique. Dans le contexte cosmologique cet effet se traduit par l’apparition d’une contribution gravitationnelle du vide qui se comporte exactement comme une constante cosmologique! Identifier cette constante cosmologique à l’origine de l’accélération actuelle de l’expansion est possible si la taille de la dimension supplémentaire est de quelques dizaines de micromètres. En conséquence la loi de gravitation ne suit plus la loi de Newton aux échelles inférieures à ces quelques dizaines de microns, offrant ainsi un moyen de tester cette proposition. Or cette mesure de la loi de gravitation sur des échelles de quelques dizaines de micromètres est déjà à la portée des expériences actuelles. Ainsi, une amélioration même relativement modeste des limites actuelles devrait permettre un progrès sur notre compréhension de l’origine de l’énergie noire.

Notes :

1  La théorie des cordes est une théorie qui vise à une description unifiée de la gravitation et des autres interactions. Les entités élémentaire n’y sont plus des particules mais des cordes vibrantes dans un espace ayant plus de dimensions que les 4 connues.

2  En cosmologie, notre espace-temps quadri-dimensionnel constitue la « brane » où s’exercent les forces usuelles comme l’électromagnétisme, tandis que d’autres interactions peuvent se propager dans des dimensions supplémentaires.

3  L’effet Casimir se traduit par une force d’attraction entre deux plaques conductrices, force due à la modification du vide quantique entre elles.

Référence bibliographique :
« Can Dark Energy emerge from quantum effects in compact extra dimension ? » by A. Dupays et al., Astronomy & Astrophysics, 06/2013, http://www.aanda.org/articles/aa/abs/2013/06/aa21060-13/aa21060-13.html

Contact : Alain Blanchard, IRAP, alain.blanchard@irap.omp.eu

Auteurs : Alain Blanchard et Brahim Lamine

Date : 01/05/20132013/05/01

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