De grandes molécules carbonées voyagent dans le milieu interstellaire

De grandes molécules carbonées voyagent dans le milieu interstellaire

Une équipe d’astronomes de l’IRAP 1 avec leur collaborateur de l’Observatoire de Cagliari (Italie) vient de démontrer qu’à proximité des étoiles, la molécule de fullerène, ou C60, est ionisée en C60+. Cela confirme bien la présence de C60+ dans le milieu interstellaire et surtout prouve que ces espèces sont en phase gazeuse et non sur des grains de poussière. Depuis presque 30 ans, les astronomes considèrent selon l’hypothèse PAH 2, que de grandes molécules carbonées en phase gazeuse jouent un rôle majeur dans la physique et la chimie des environnements cosmiques. Ces nouveaux travaux sur C60+ apportent une preuve directe de la validité de cette hypothèse et sont publiés le 22 janvier dans la revue Astronomy & Astrophysics.

Figure de droite : Molécule de C60 superposée à l’image du télescope Hubble de la nébuleuse NGC 7023 dans laquelle l’ion C60+ vient d’être detecté. Crédits: NASA & ESA / L. Cadars & O. Berné

Dans les années 1980, H. W. Kroto et ses collaborateurs simulent en laboratoire la formation de molécules carbonées dans les enveloppes d’étoiles. Ils découvrent une molécule particulière contenant exactement 60 atomes de carbone, le C60 avec une structure en ballon de football 3. Avec une utilisation de plus en plus répandue du C60, en particulier dans le domaine des nanotechnologies, H. W. Kroto, R. F. Curl et R. E. Smalley reçoivent le Prix Nobel de chimie en 1996 pour leur découverte. Ces travaux motivent alors la recherche de C60 dans l’espace comme un des responsables des mystérieuses bandes diffuses interstellaires (DIB) 4. Dans les années 1990, B.H. Foing et P. Ehrenfreund publient la découverte de deux nouvelles DIB à 0.9577 et 0.9632 µm, détectées à l’Observatoire de Haute Provence 5 et qu’ils attribuent à l’ion C60+ en s’appuyant sur les données de laboratoire disponibles à l’époque.

Plus récemment, les progrès réalisés par l’astronomie spatiale infrarouge ont permis d’obtenir des spectres d’une grande qualité et de mettre en évidence la présence de C60 à proximité d’étoiles chaudes, des étoiles jeunes mais aussi des étoiles en fin de vie, grâce à l’observation de quatre bandes d’émission à 7.0, 8.5, 17.4 et 19.0 µm par le satellite Spitzer de la NASA 6 , 7. Néanmoins les détections de C60 et C60+ posent un certain nombre de questions. L’identification des deux DIB reste controversée par manque de données précises en laboratoire. Ainsi, l’étude des propriétés spectroscopiques de C60+ reste à ce jour un challenge à la fois pour les expérimentateurs et les théoriciens. D’autre part, l’analyse du spectre infrarouge de C60 a amené à la proposition que les molécules C60 pourraient être piégées sur des grains 8. L’équipe de l’IRAP vient de mettre en évidence de nouvelles bandes à 6.4, 7.1, 8.2 et 10.5 µm dans les données Spitzer. En s’appuyant sur de nouveaux calculs théoriques, les auteurs attribuent ces bandes à l’ion C60+ et montrent que cet ion est présent sous forme gazeuse dans le milieu interstellaire.

 

Figure ci-dessus : Les bandes diffuses interstellaires. Crédits: P. Jenniskens & F. X. Désert

Note(s): 

  1. Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie (IRAP-CNRS/Université Toulouse 3)
  2. L’hypothèse PAH a été proposée en 1984 par A. Léger et J.-L. Puget puis par une équipe américaine pour expliquer une série de bandes observées en émission dans l’IR moyen. Selon cette hypothèse, cette émission est due à une famille de grandes molécules carbonées de type hydrocarbures aromatiques polycycliques (PAH) qui sont en phase gazeuse et chauffées de manière impulsionnelle par les photons ultraviolets des étoiles 8.
  3. Kroto H. W., Heath J. R., Obrien S. C., Curl R. F., Smalley R. E., C60: Buckminsterfullerene, Nature 318 (1985), 162-163
  4. Les bandes diffuses interstellaires (DIB) sont observées depuis 1922. Elles consistent en une série de bandes en absorption, essentiellement dans le domaine visible, et sont bien connues des astronomes comme des signatures de la matière interstellaire. Le nombre de DIB détectées à ce jour est de plusieurs centaines. Les grandes molécules carbonées telles que les fullerènes et les molécules polycycliques aromatiques hydrogénées (PAH) en phase gazeuse sont des candidats privilégiés pour rendre compte de ces DIB mais aucune identification certaine n’a pu être faite à ce jour.
  5. Foing, B. H.; Ehrenfreund, P., Detection of two interstellar absorption bands coincident with spectral features of C60+, Nature 369 (1994), 296-298
  6. Sellgren K., Werner M. W., Ingalls J. G., Smith J. D. T., Carleton T. M., Joblin C., C60 in Reflection Nebulae, Astrophys. J.  Lett. 722 (2010), L54-L57
  7. Cami J., Bernard-Salas J., Peeters E., Malek S.E., Detection of C60 and C70 in a Young Planetary Nebula, Science 329 (2010), 1180-1182
  8. Léger A., d’Hendecourt L., and Défourneau D., Physics of IR emission by interstellar PAHs, Astron. & Astrophys. 216, (1989), 148-164

Source(s): 

Interstellar C60+, O. Berne, G. Mulas et C. Joblin, Astronomy & Astrophysics, 550, L4, 2013.

Contact(s):

  • Christine Joblin, IRAP (CNRS/Université Paul Sabatier-Toulouse III)
    christine.joblin@irap.omp.eu, 05 61 55 86 01
  • Olivier Berné, IRAP (CNRS/Université Paul Sabatier-Toulouse III)
    olivier.berne@irap.omp.eu, 05 61 55 87 55

Auteur : [entrer nom prenom de l’auteur]

Date : 22/01/20132013/01/22

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